vendredi 22 novembre 2013

L'illusion du revenu minimum garanti

Au cours des élections législatives, j'ai soutenu les Verts parce que ... he bien, parce qu'il y avait un accord national qui pourrait (et en fait ne) nous faire gagner un député et officiellement approuver cette dame faisait partie du deal. Quant à mon opinion sur la chose ... bien, disons simplement dire que, parfois, vous devez faire votre travail.

Un des avantages de la situation, c'est que j’ai pu observer le fonctionnement interne du groupe Vert locale (du moins la faction qui avait gagné le combat, plutôt brutal, pour la nomination) et ai été forcé d'assister à quelques réunions, où je n'aurais pas pris la peine d'aller autrement. Au cours de l'un d'eux - un soi-disant " café politique " , quelqu'un a soulevé la question du "revenu de base".

Pour ceux qui grenouillent pas dans la politique radicale, le revenu de base est un revenu accordé sans condition à tous les citoyens (ou habitants) d'un pays donné. La France a déjà quelque chose de ce genre. Cela s’appelle le RSA.

C’est évidemment un revenu très basique. Le salaire médian en France est d'environ 1600 € et je loue mon T3 pour 517 €. Saint-Nazaire est d'ailleurs une ville ouvrière et le logements ont tendance à bon marchés par ici. Je ne pourrais probablement pas trouver un appartement équivalent à Paris, même pour trois fois ce prix. Même si il peut être complétée par d'autres aides, le RSA ne permet pas de festoyer. Vous pouvez survivre avec, mais guère plus.

Bien sûr, il ne s'agissait pas de ce genre de revenu de base dont notre militant vert parlait. Ce dont elle parlait, c'est d’un revenu plus ou moins égal au salaire minimum C'est une idée populaire parmi dans les milieux décroissants et dans certaines sections du mouvement vert et de l'extrême gauche. Une de mes copines y croyait beaucoup, et c’est indubitablement une mauvaise idée - la copine en question était également une mauvaise idée mais c’est un autre problème.

La principale raison à cela devrait être évident pour quiconque vaguement au courant du pic énergétique. Même ses partisans reconnaissent que la faisabilité d'un système de revenu de base est fortement tributaire de l'existence de la civilisation industrielle.

Comme le philosophe français André Gorz écrivait en 1989:


... Le lien entre plus et mieux a été rompu; nos besoins pour de nombreux produits et services sont déjà plus que suffisamment satisfaits, et beaucoup de nos besoins encore insatisfaits seront satisfaits non pas en produisant plus, mais en produisant différemment, en produisant d'autres choses, ou même en produisant moins. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne nos besoins en air, en eau, en espace, en silence, en beauté, en temps et en contact humain ...

Du point où il ne faut que 1000 heures par an, soit 20.000 à 30.000 heures par vie pour créer une quantité de richesse égale ou supérieure à la quantité que nous créons à l'heure actuelle en 1600 heures par an, soit 40.000 à 50.000 heures dans une vie de travail, nous devons tous pouvoir obtenir un revenu réel égal ou supérieur à nos salaires actuels en échange d'une quantité très réduite de travail ...

Il n’est plus vraique la plus chaque individu travaille longtemps, mieux ce sera pour tout le monde. La crise actuelle a stimulé une évolution technologique d'une ampleur et d’une vitesse sans précédent : «la révolution informatique. L'objectif et l'effet de cette révolution a été de faire des économies de plus en plus rapidement dans le travail, dans les secteurs des services administratifs et industriels. L’augmentation de la production est assurée dans ces deux secteurs par des quantités décroissantes de travail. En conséquence, le processus social de production n'a plus besoin que tout le monde travaille sur une base de temps plein. L'éthique du travail cesse d'être viable dans une telle situation et de la société du travail est en crise ...
- André Gorz, Critique de la raison économique, Gallile 1989

L'idée selon laquelle le règne de la machine va briser le lien historique entre le travail et le revenu est aussi vieille que la Révolution Industrielle. Il est implicite au début de la pensée marxiste. Ainsi, dans la Critique du programme de Gotha, Karl Marx lui-même a écrit:

Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l'asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l'opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel; quand le travail ne sera pas seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui-même le premier besoin vital;
quand, avec le développement multiple des individus, les forces productives se seront accrues elles aussi et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l'horizon borné du droit bourgeois pourra être définitivement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !

Ce qui signifie que sous le communisme, on rasera perpétuellement gratis, ce qui correspond à ce qu’est fondamentalement le revenu de base. Nous savons, bien sûr ce qu’il en est advenu et les régimes et partis marxistes réels ont rapidement développé une forte éthique du travail, parfois jusqu’au ridicule - quelqu'un se souvient-il de Stakhanov?

Bien sûr, cela ne signifie pas que l'idée d'un rasage gratuit généralisé soit morte. Elle a simplement migré vers les techno-optimistes, qui ont remplacé la " phase supérieure du communisme" par le progrès technologique, lequel fera que les travailleurs seront progressivement remplacés par des robots et des usines automatisées. Cela permettrait d'accroître considérablement la richesse de la société, mais aura aussi un impact dévastateur sur les employés et les ouvriers réduira considérablement la classe moyenne, ce qui rendra un revenu de base généreux à la fois réalisable et socialement et politiquement indispensable. La seule autre option serait le développement d'une classe permanente d'anciens ouvriers et employés déclassés, avec toutes les conséquences politiques désagréables que cela peut entraîner.


C’est, par exemple, la thèse de Jeremy Rifkin dans ce monument de la pensée techno-verte, qu’est "La Fin du Travail", mais le thème est omniprésent dans la science-fiction, par exemple dans le premier roman de Kurt Vonnegut Player Piano , qui, a, d'ailleurs, montré que le revenu de base était parfaitement compatible avec l'aliénation et l'oppression.

Le problème, bien sûr, est que cet avenir de robots et d’usines automatisées ne verra jamais le jour. Ce n'est pas l'automatisation en soi qui a engendré la révolution industrielle et par là notre société, mais l'accès aux énergies fossiles. Sans charbon, pétrole ou gaz et sans l'appareil social très complexe dont ils ont besoin pour leur fabrication et leur maintenance, nos machines ne servent à rien.

En outre, la capacité de notre économie à créer des surplus, qui peuvent être utilisé, entre autres, pour financer un système de revenu de base, est en constante diminution. Comme nous remplaçons le pétrole et le charbon bon marché par des substituts de moins en moins adéquats tels que le lignite ou les sables bitumineux ou, que les Dieux nous pardonnent, l'éthanol, et sommes obligés de consacrer toujours plus de ressources à l'extraction de l'énergie, l'excédent net, sur lequel vit notre civilisation, se réduit. Ajoutez à cela la nécessité de maintenir une infrastructure gigantesque, à la fois matérielle et immatérielle, avec des ressources au mieux stagnantes, et il est facile de comprendre que, même si notre PIB nominal croît encore, il devient de plus en plus difficile de mobiliser des ressources pour faire réellement quelque chose.

C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui dans une Europe encore riche, et il est évident que même si notre PIB est théoriquement assez important pour que nous accordions à tous nos citoyens un revenu de base, une telle proportion est immobilisée par la dette et l’entretien de nos infrastructures que garder notre système de protection sociale en l’état est probablement impossible.

Il y a, cependant, une autre raison, plus profonde, et de rejeter le revenu minimum: on a déjà essayé.


C'était le pain du fameux "pain et des jeux". A l'origine une nation de petits agriculteurs, la République romaine s’est laissée aller au latifundisme. Les paysans écrasé de dettes ont vendus leurs terres aux grands propriétaires et se sont enfuis à Rome, à la recherche d'un emploi que plupart d'entre eux n'ont pas trouvé. En 123 avant JC, Tiberius Gracchus avait fait voter au Sénat une loi sur grain en vertu de laquelle une partie du blé collecté par l'Etat était vendu aux citoyens à un tarif subventionné. Tiberius Gracchus a également poussé pour une réforme agraire assez radicale, qui lui a valu une collision fatale avec une chaise au cours d'un débat sénatoriale plutôt viril.


L'habitude de distribuer des céréales gratuitement ou à très pas bas prix à la plèbe romaine s’est cependant installée, , et en 58 avant J.-C., le politicien popularis Clodius Pulcher a mis en place une distribution régulière de blé gratuit après avoir été élu en tant que tribun - à ce moment-là les politiciens tenaient leurs promesses. César et Auguste semblent avoir été embarassés par la chose mais n’ont pas osé pas l'abolir complètement.

Les empereurs ont continué la pratique et l’ont même complétée avec des distributions d'huile d'olive, de vin ou de porc. Le raisonnement était que tant que la foule était bien nourrie et divertie, elle laisserait la politique à l'empereur et sa cour. Cela n’a pas très bien marché avec l'armée et la garde prétorienne, mais a été très efficace avec la plèbe romaine romaine. Comme le poète Juvénal le disait dans ses Satires:

Ces Romains si jaloux, si fiers de leurs suffrages,
Qui jadis commandaient aux rois, aux nations,
Décernaient les faisceaux, donnaient les légions,
Et seuls, dictant la paix, ou proclamant la guerre,
Régnaient du Capitole aux deux bouts de la terre,
Esclaves maintenant de plaisirs corrupteurs,
Que leur faut-il ? du pain et des gladiateurs.

Bien sûr, à la fin, des étrangers barbus avec un accent bizarre et une religion qui sentait le souffre ont conquis le grenier à blé de l'Empire et leur chef, un gentilhomme du nom de Genséric a décidé que le blé devait rester chez ceux qui le produisaient.

Rome pouvait distribuer gratuitement du blé parce qu'elle pillait impitoyablement ses propres provinces, détruisant sa propre base de ressources et ouvrant la voie à sa propre destructions. Nous devrions détourner des ressources déjà limitées de l'entretien de notre propre civilisation, accélérant de ce fait sa désintégration. Les principes régissant le revenu de base et la distribution romaine de blé sont les mêmes, cependant: la dépendance, l'aliénation et le sentiment que tout nous est dû.

Les partisans de ldu revenu de base disent que nous y avons droit, parce que nos sociétés sont riches. Le problème est que cette richesse ne vient pas de nulle part. Une partie de celle-ci est le produit d’un système impérial en difficulté mais encore vigoureux qui transfère la richesse et les ressources du sud vers le nord sous la menace de la force militaire. Une autre partie provient de la surexploitation effrénée des ressources naturelles non renouvelables, ce qui signifie essentiellement que nous les volons à nos descendants. Pour ce qui est probablement la classe la plus favorisée dans l'histoire humaine, passé et avenir confondus, revendiquer le droit de détourner encore plus de ressources afin de pouvoir vivre sans travailler revient à dire "tout nous est dû, et peu importent les conséquences".

Ce n'est pas un hasard que la plupart des partisans du revenu de base appartiennent, du moins en France, à la classe moyenne supérieure (les bobos) ou à leurs confrères plus pauvres: les révolutionnaires RSA. Les révolutionnaires RSA sont des radicaux qui prétendent mépriser "le système" et chercher à le renverser, tout en étant totalement dépendant de son existence pour leur survie. Ils sont particulièrement fréquents dans la branche autonomiste du marxisme, qui prétend lutter contre le "capitalisme" hors des structures organisées, par l'action directe, ce qui revient en pratique à accumuler des actes symboliques tout en vivant en marge de la société grâces à des subventions de l'Etat.

Le revenu de base est, en fait, la conséquence logique de l'idée selon laquelle l'Univers doit nous donner tout ce que nous voulons, pour peu que nous criions assez fort.

Bien sûr, cela ne signifie pas que nous devons abolir l’état-providence avant qu'il ne devienne insoutenable. Létat-providence n'a rien à voir avec le revenu de base, parce que son but est d'aider les personnes dans le besoin, tant qu'elles sont dans le besoin, mais pas une heure de plus. C'est la solidarité humaine de base et il est révélateur que les mêmes religions monothéistes qui disent "Celui qui ne veut pas travailler qu’il ne mange pas non plus" fassent de la charité un devoir.

Ce sont deux concepts distincts.

Selon ses partisans, le revenu de base va nous libérer et nous permettre de nous consacrer à l'art, la culture, ou ce que Jeremy Rifkin appelle le tiers secteur - les organismes de services communautaires et volontaires. Ceci, cependant, est une utopie bobo. Dans les communautés réelles, rien n'est vraiment gratuit. Si on aide quelqu’un gratuitement, c’est parce qu’on attend un renvoi d’ascenseur. Si la coopération est si répandue, c'est parce qu'elle est nécessaire au bien-être, et parfois à la survie de chaque individu.


En distribuant librement des ressources, l'état, ou ce qui aura pris sa place, remplace en fait une relation horizontale entre les membres d'une même communauté par une relation verticale entre un individu et le pouvoir politique qui le nourrit - et peut cesser de le faire à tout moment. Le résultat ne sera probablement pas la construction de liens, mais une fragmentation sociale et un contrôle accru par le haut.

Cela n’améliorera pas le contrôle tout individu doit avoir sur sa propre vie, bien au contraire. De ce point de vue, le revenu de base est la continuation, certains diront le stade suprême, du processus qui, depuis la révolution industrielle, a transformé les artisans en travailleurs non qualifiés et en caissières de supermarché. Si l'artisan pouvait être pauvre, il était toujours le maître de son art et de sa propre vie, et ne dépendait de personne d'autre que lui-même. L'ouvrier d'usine dépossédé qui l'a remplacé, accomplit des tâches répétitives et vides de sens, et n’est plus qu’un rouage, totalement déconnecté du produit de son travail. Les ouvriers d'une usine spécifique, pris dans le groupe, pouvaient toutefois prendre une fierté collective dans le fruit de leurs travaux. Le bénéficiaire moyenne du revenu de base une personne passive, sans aucune identité professionnelle ou sociale, et si une minorité pourrait se réaliser dans des activités bénévoles, la majorité deviendraient comme les personnages de The Machine Stops ou de Piano Player, oisif et aliéné, privé de la possibilité de contrôler leur propre vie et, plus important, d’en faire quelque chose.

Dans Piano Player, le personnage principal, un membre de l'élite, pense à se retirer dans une ferme sans eau ni électricité puis prend part à une révolte contre l'ordre technocratique visant à redonner aux hommes la liberté de faire quelque chose de leur vie et de trouver de la fierté dans ce qu’ils font.

Je pense que je l'aurais suivi, si je ne savais pas que cette idée absurde de revenu de base absurde était destiné à mourir avec la civilisation industrielle.

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